L'EXIT TAX OU QUAND LES EXPATRIÉS FRANÇAIS DES ÉMIRATS SONT DANS LE CIBLE DU FISC FRANÇAIS

L’Allemagne a annoncé en février dernier avoir acheté des données fiscales sur des millions de personnes vivant à Dubaï.

Interrogé par Les Echos,la Direction générale des finances publiques a confirmé que le partage de ces données avec l'administration fiscale française a déjà eu lieu.

Les autorités françaises cherchent donc désormais à identifier d'éventuels fraudeurs dans ces données et à identifier la présence de « revenus non déclarés » et de « biens inconnus » de personnes souhaitant échapper à l'impôt dans leur pays. Il s'agit notamment de vérifier si les entrepreneurs français partis à Dubaï ont acquitté l'« impôt de sortie » qui frappe les plus-values latentes réalisées en France et à l'étranger (1).

Cet article retracera les contours du concept d'exit tax afin d'éclairer les expatriés français résidant à Dubaï sur leur conformité ou non à la législation fiscale française du fait de leur changement de résidence fiscale de la France vers les Emirats.

I. QU'EST-CE QUE LA TAXE DE SORTIE ?

La France a instauré en 2011 l’Exit Tax, un impôt exceptionnel dû par les contribuables français transférant leur résidence fiscale hors de France, par l’article 167 bis du Code général des impôts (le « CGI »).

La taxe de sortie est définie comme une impôt sur les plus-values latentes (la « VA non réalisée ») enregistrée sur les comptes de l'entreprise droits (droit de vote), valeurs mobilières (actions et obligations) ou des droits sur une entreprise Détenue par les contribuables avant leur changement de résidence fiscale. La plus-value correspond à la différence positive de valeur entre le prix d'acquisition et le prix de revente d'un bien immobilier. Il existe deux types de plus-values : lorsqu'elle est constatée lors de la vente du bien, elle est effective. À l'inverse, elle est considérée comme latente pendant toute la durée de détention du bien, jusqu'à sa vente.

En d'autres termes, l'Exit Tax s'applique aux plus-values constatées sur les droits sociaux, titres, valeurs mobilières ou droits encore détenus par les contribuables dès lors qu'ils transfèrent leur résidence fiscale hors de France (après le 3 mars 2011), même s'ils ne les ont pas cédés. Le simple changement de résidence fiscale hors de France rend le contribuable redevable de cet impôt.

Pour rappel, un contribuable est considéré comme résident fiscal français s'il séjourne plus de 180 jours en France au cours d'une année fiscale donnée et/ou s'il a sa résidence permanente et ses intérêts vitaux en France pour l'année fiscale considérée (liens personnels et économiques). Par conséquent, le transfert de résidence fiscale intervient dès lors qu'un contribuable séjourne plus de 180 jours à l'étranger et/ou que ses intérêts vitaux sont situés hors de France.

II. QUEL EST LE CHAMP D'APPLICATION DE LA TAXE DE SORTIE ?

  1. LES CONTRIBUABLES CONCERNÉS 

Les contribuables qui relèvent du champ d'application de l'exit tax sont ceux qui sont domiciliés fiscalement en France depuis 6 des 10 dernières années précédant le transfert de leur résidence fiscale hors de France. Ainsi, pour ce critère, la durée de résidence fiscale en France est appréciée au regard du contribuable et non du foyer fiscal.

2. GAINS NON RÉALISÉS ET DETTES COUVERTES 

A. Seuil d'application de l'Exit Tax

Il existe un seuil au-delà duquel la taxe de sortie s'appliquera :

  • Lorsque les titres entrant dans le champ d'application de l'Exit tax représentent, à la date du transfert de résidence fiscale, au moins 50% de les bénéfices d'une société ; ou
  • Lorsque la valeur totale des titres entrant dans le champ d'application de la taxe de sortie dépasse €800,000 à la même date.

L'évaluation de ces seuils prend en compte les membres du foyer fiscal du contribuable et les titres détenus directement ou indirectement. Toutefois, seules les participations directes dans des sociétés doivent être prises en compte pour déterminer si leur valeur globale excède 800 000 € au moment de la cession.

B. Titres couverts par l'Exit Tax

En vertu de l'article 167a du CGI, les contribuables sont redevables de l'impôt sur les plus-values latentes, sur droits des sociétés, titres, ou des droits mentionnés à l'article 150-0A du CGI (gains en capital réalisées par des particuliers dans le cadre de la gestion non professionnelle d'un portefeuille de valeurs mobilières).

Les gains non réalisés sur les titres et droits suivants entrent également dans le champ d'application du régime de l'Exit Tax :

  • Obligations négociables et titres de créance (une obligation est un titre négociable produisant des intérêts en échange d’un prêt à une entreprise) ;
  • Droits de souscription ou d'attribution de droits ou de valeurs sociales ;
  • Droits résultant d'un démembrement de propriété (usufruit/nue-propriété) – ces droits ne seront pris en compte que pour l’évaluation du seuil de valeur (800 000 €) mais ne seront pas soumis à l’Exit Tax ;
  • Créances découlant d'un clause d'earn-out – partie du prix de cession dont le paiement effectif est conditionné à la réalisation d’un critère de performance lié à l’activité de l’entreprise cédée.

Par ailleurs, depuis le 1er janvier 2019, le dispositif d'Exit Tax a été étendu aux titres de sociétés ayant une prépondérance d'actifs immobiliers – les sociétés dont plus de la moitié de l’actif est constitué de biens immobiliers non affectés à son activité professionnelle.

Enfin, l’essor et la démocratisation de crypto-actif La propriété a soulevé la question de savoir si le transfert d'un portefeuille d'actifs numériques à l'étranger déclenche l'imposition de la taxe de sortie. Pour l'instant, cette taxe ne semble pas couvrir les actifs numériques, mais compte tenu de l'esprit du dispositif, le législateur l'étendra très certainement aux cryptomonnaies lorsque le contribuable réside dans un pays où les taux d'imposition sur le transfert de cryptoactifs sont plus attractifs (voire nuls) à l'étranger.

Enfin, et en plus de l'Exit Tax, le transfert de résidence fiscale d'un contribuable français entraîne la fin du report d'impôt dont il aurait pu bénéficier.


III. COMBIEN DOIS-JE PAYER D'IMPÔT AU TITRE DE LA TAXE DE SORTIE ? 

Les plus-values latentes soumises au régime de l'Exit Tax sont soumises au prélèvement forfaitaire unique : elles sont soumises, pour leur montant brut, à un taux de 12.8% à l'impôt sur le revenu et 17.2% cotisations de sécurité sociale. Par conséquent, un taux d'imposition global de 30% sera prélevé sur les plus-values latentes.

Une déduction forfaitaire de 500 000 € peut être demandée, notamment par le contribuable gérant une société, sous certaines conditions.

Il est également important de noter que, par dérogation, pour tout transfert de domicile après le 1er janvier 2018, et sous certaines conditions, ces plus-values pourront être imposées selon un barème progressif. Ce barème progressif n'est pas cumulable avec l'abattement forfaitaire de 500 000 €.



IV. QUELLES SONT LES EXCEPTIONS/EXEMPTIONS À LA TAXE DE SORTIE ?

En principe, l'impôt résultant de l'Exit Tax doit être acquitté immédiatement lors du transfert du domicile fiscal hors de France. Néanmoins, il existe des hypothèses de report de paiement et de remboursement de l'Exit Tax.

  1. REPORT DE PAIEMENT 

Le report de paiement jusqu'à ce que la vente effective des titres soit automatique si le contribuable transfère son domicile fiscal à :

  • Un État membre de l'Union européenne; ou
  • UN État situé dans l'Espace économique européen (à l'exclusion du Liechtenstein) et qui a conclu avec la France une Convention d'assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l'évasion fiscales et une Convention d'assistance mutuelle en matière de recouvrement des créances relatives aux impôts, droits et autres mesures.

Si le contribuable transfère sa résidence fiscale à un État hors de l'Espace économique européen comme c'est le cas des Émirats arabes unis, il ou elle peut alors bénéficier de la suspension automatique de paiement, sans la constitution de garanties, si l'État tiers :

  • A conclu une convention d'assistance administrative avec la France pour lutter contre la fraude et l'évasion fiscale ; et
  • A conclu avec la France une convention d'assistance mutuelle en matière de recouvrement, d'une portée similaire à celle prévue par la directive 2010/24/UE du Conseil du 16 mars 2010 concernant l'assistance mutuelle en matière de recouvrement des créances relatives aux taxes, droits et autres mesures ; et
  • Ne figure pas sur la liste des États ou territoires non coopératifs (ETNC) au sens de l'article 238-0 A du CGI.

Ainsi, le sursis de paiement semble s'appliquer automatiquement aux contribuables ayant transféré leur résidence fiscale aux Émirats arabes unis. En effet, les Émirats ont signé avec la France une convention d'assistance administrative en matière de lutte contre la fraude et l'évasion fiscales, entrée en vigueur le 1er janvier 2019, ainsi qu'une convention d'assistance mutuelle en matière de recouvrement – également entrée en vigueur avec la France le 1er janvier 2019 selon le site web de l'OCDE, mais non mise à jour sur le site web fiscal français (2).

Les contribuables transférant leur résidence à États qui n’ont pas conclu l’un des deux Les conventions requises pourront toujours bénéficier d'une suspension de paiement, en effectuant une demande expresse de suspension de paiement et en fournissant plusieurs garanties, notamment :

  • Une déclaration des plus-values latentes auprès de l'administration fiscale au moins 30 jours avant leur départ
  • La désignation d'un représentant fiscal résidant en France ; et
  • La fourniture d'une garantie de 12,8% du montant total des plus-values latentes.

Dans le cas où la suspension de paiement est accordée au contribuable, le le report expire au moment où l'un des événements suivants se produit :

  • Vente à titre onéreux, rachat, remboursement ou annulation de droits sociaux, de valeurs mobilières ou de droits au titre desquels des plus-values latentes ont été constatées ou dont l'acquisition a donné droit à un report d'imposition ;
  • Donation de droits sociaux, de valeurs mobilières ou de droits pour lesquels des plus-values latentes ont été constatées lorsque le donateur est domicilié fiscalement au Liechtenstein ou en dehors de l'Espace économique européen, à moins qu'il ne démontre que la donation n'est pas effectuée pour la raison principale d'échapper à l'impôt établi en vertu du présent arrangement ;
  • La mort du contribuable.

Dans le cas de réclamations découlant d'un clause d'earn-out, La suspension prend fin dès l'encaissement de l'earn-out, en cas d'apport, de cession ou de donation de la créance, lorsque le donateur est domicilié fiscalement dans un État ou territoire non membre de l'UE n'ayant pas conclu les conventions susmentionnées. Le contribuable devra alors s'acquitter du montant de l'Exit Tax ayant fait l'objet d'un report de paiement.

2. ANNULATION OU REMBOURSEMENT DE LA TAXE DE SORTIE POSSIBLE SOUS CERTAINES CONDITIONS

Dans le cas où le contribuable ne se voit pas accorder un report de paiement, l'impôt peut être annulé ou remboursé en cas de paiement, s'il a été acquitté au moment du transfert de résidence fiscale, dans plusieurs cas :

  1. Si le le contribuable séjourne à l'étranger pendant plus de 2 ans ou plus de 5 ans (en fonction de la valeur des titres (3)) et conserve ses titres sans les vendre alors une annulation ou un remboursement de l'impôt éventuellement payé sur la VP latente relative à ces titres est imputé au contribuable.
  2. Si le contribuable, domicilié hors de France, décède ou fait don de ses titres :
    • en cas de décès, l'impôt payé sur la VP latente est remboursé ;
    • En cas de donation de titres lorsque le contribuable a établi son domicile fiscal dans l'un des États concernés par la suspension automatique de paiement, la non-imposition du montant de l'impôt de sortie s'applique. La donation constituera alors un cas de dégrèvement (ou de remboursement) de droit, sauf si l'administration prouve que le but principal de la donation est d'échapper à l'impôt ;
    • dans le cas d'une donation où le contribuable ne réside pas dans un Etat visé par la suspension de paiement, le bénéfice de la déduction ou du remboursement est subordonné à la condition que le contribuable prouve que l'opération n'est pas effectuée avec pour principal motif d'échapper à l'impôt.

Quand le le contribuable revient en France, l'impôt établi sur les plus-values latentes lors de la cession est automatiquement prélevé, ou remboursé s'il avait fait l'objet d'un paiement immédiat lors du transfert du domicile fiscal hors de France, lorsque les titres demeurent, à cette date, dans le patrimoine du contribuable.

(1) https://www.bfmtv.com/economie/patrimoine/impots-fiscalite/bercy-va-traquer-les-exiles-fiscaux-de-dubai-grace-a-des-donnees-obtenues-par-l-allemagne_AD-202106190052.html

(2) https://www.oecd.org/tax/automatic-exchange/country-by-country-exchange-relationships.htm et https://www.oecd.org/fr/fiscalite/echange-de-renseignements-fiscaux/convention-concernant-l-assistance-administrative-mutuelle-en-matiere-fiscale.htm, il existe toujours un vide juridique car la France n'a pas mis à jour l'annexe contenant la liste des pays signataires de cette convention depuis 2012 sur le site de la doctrine fiscale.

(3) Deux ans si la valeur des titres n'excède pas 2 570 000 € à la date du transfert de domicile fiscal, 5 ans si la valeur excède 2 570 000 €.

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